Devanture du journal Le local

Reflets de terrain: Regards sur un Incubateur d’initiatives citoyennes

Catégories: Recherches

Par Salim Beghdadi

Mars 2021. Actuellement sur le terrain dans le cadre d’une recherche postdoctorale[1], j’ai la chance de pouvoir débuter la collecte de données malgré un contexte sanitaire et social difficile. La recherche en question porte sur une initiative communautaire récente destinée aux « jeunes-adultes »[2]  de Montréal-Nord. Depuis bientôt deux ans, un Incubateur d’initiatives citoyennes[3], porté par l’organisme Café-Jeunesse Multiculturel, a en effet ouvert ses portes afin d’offrir un espace d’accueil et d’accompagnement à de jeunes-hommes dits « marginalisés », selon la terminologie employée par les intervenants et les acteurs du milieu communautaire. En partenariat avec le CRISES (Centre de recherche sur les innovations sociales) et l’IUPE, l’enjeu de cette recherche est d’ajuster le plus possible l’intervention auprès des jeunes-adultes à leurs besoins, mais aussi de connaître l’impact territorial de cet Incubateur ainsi que les changements de pratiques qu’il a suscités jusqu’à présent. Dans ce texte introductif, je souhaite partager quelques-unes des observations que nous avons pu faire depuis le démarrage de la recherche, et ainsi rendre compte des réalités auxquelles nous sommes confrontés sur ce type de terrain.

L’Incubateur d’initiatives citoyennes, c’est avant tout un local, car avant sa création, les jeunes-adultes du secteur ne disposaient d’aucun lieu d’accueil. Lors de nos rencontres avec eux, ils ont tous mentionné à quel point ce lieu était essentiel à leur bien-être, comme l’exprime l’un d’entre eux : « C’est un lieu qui rassemble les jeunes, mais aussi les parents, les personnes âgées (…) ça permet à la communauté de se rapprocher ». Un fait que nous avons pu nous-mêmes constater, puisque chaque fois que nous nous y sommes rendus, nous avons observé de jeunes-adultes discutant avec des femmes aînées d’origines culturelles variées. De par son ancrage dans le milieu et son parcours rempli d’embuches, l’une d’entre elles est notamment considérée comme une « vétérante » ; s’appuyant sur son expérience, elle profite aujourd’hui de l’écoute que lui accordent les jeunes-adultes afin de favoriser un état d’esprit positif et constructif.

De l’extérieur, le local s’apparente aux locaux commerciaux que l’on trouve sur la rue Pascal, avec une grande vitrine devant laquelle se regroupent généralement quelques jeunes-adultes, et rien n’indique à première vue qu’il s’agisse d’un local communautaire. À l’intérieur, nous nous retrouvons face à un grand espace ouvert, avec une table de billard sur la gauche en rentrant, un coin salon avec une télévision et quelques petites tables comme celles que l’on trouve dans les cafés. Un peu plus au fond, sur la gauche, se trouve un coin cuisine, et, collés au mur de droite, des ordinateurs. À côté des ordinateurs, il y a un baby-foot et le bureau des employés, puis, tout au fond du local, les toilettes, avec, sur le mur du fond, une porte qui donne sur la cour arrière où sont organisées des activités pendant l’été. Il est d’emblée intéressant de constater la présence de stores sur la vitrine de l’Incubateur d’initiatives citoyennes. Ces rideaux sont en effet des éléments cruciaux du décor, car ils dénotent une tension entre les jeunes-hommes qui fréquentent le local et la police qui surveille ce lieu « comme lieu potentiel de trafics de toutes sortes », selon les intervenants. Les stores, qui masquent quelque peu l’intérieur en laissant passer la lumière, ont ainsi été posés afin de créer un cadre d’intervention propice avec les jeunes-adultes, qui se sentent victimes d’un acharnement policier permanent.

Ici apparaissent déjà des questions centrales à ce type d’intervention :  quelles sont les pistes d’action qui s’offrent à une communauté donnée afin de lutter efficacement contre la criminalité sans pour autant exclure un public en perte de repères qui réclame une proximité de première ligne ? Plus encore, comment une intervention donnée peut-elle établir des liens durables avec un public habituellement décrit comme marginalisé sans porter elle-même les stigmates de la marginalité ? Au cœur de ces questions, et de l’intervention prônée par l’Incubateur d’initiatives citoyennes, se trouve l’acceptation de l’autre dans ce qu’il peut avoir de dérangeant aux yeux de la « société » (notamment un dossier criminel, un mode de vie hors des sentiers battus ou encore des problèmes de consommation).

Aux yeux des jeunes-adultes avec qui nous avons parlé, l’Incubateur d’initiatives citoyennes est un lieu de confiance, car ils ne s’y sentent pas jugés, mais compris, cela, d’autant plus que ses intervenants sont eux-mêmes originaires de Montréal-Nord et qu’ils étaient connus de plusieurs jeunes-adultes avant même l’ouverture du local. Les jeunes-adultes nous disent ainsi y venir pour demander des conseils de toutes sortes, du soutien administratif, faire des démarches d’emploi, d’immigration, mais aussi afin de s’y impliquer et d’y acquérir un véritable statut de citoyen ou citoyenne. Un des jeunes-adultes nous dira notamment à ce sujet : « C’est un endroit bien, qui aide les jeunes à évoluer, surtout dans les milieux dans lesquels nous sommes, surtout nous, les immigrés et les enfants des immigrés, ça nous aide à évoluer ».

[1] Recherche postdoctorale financée par une bourse MITACS et Parole d’excluEs.

[2] Nous utiliserons dans le cadre de nos travaux l’expression jeunes-adultes ou jeunes-hommes, qui fait référence à la terminologie employée par les porteurs du projet tout en la conceptualisant : nous sommes en présence d’un public auquel il est difficile d’attribuer un âge, adoptant un mode de vie qui se veut « jeune » mais qui fait en même temps appel à une certaine hiérarchie sociale basée sur l’âge ou l’ancienneté dans le milieu. Pour en savoir plus sur les dynamiques socioterritoriales et la situation des jeunes dans le quartier, voir Heck et al. 2015.

[3] Dans le contexte de sa création, l’Incubateur d’initiatives citoyennes a été soutenu par un comité nommé Comité Pascal-Lapierre, composé d’organismes communautaires et d’instances institutionnelles, notamment La Table de Quartier de Montréal-Nord, la Société d’habitation populaire de l’Est de Montréal, Parole d’excluEs, Café-Jeunesse Multiculturel, le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal et le SPVM – Poste de quartier 39.

Crédit photo: Café-Jeunesse Multiculturel

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