Les enfants du Centre de la Petite enfance (CPE) viennent apprendre et s’amuser

Combattre les inégalités sociales de santé (2/2)

Alors que les résidents de Chicago ont jusqu’à 30 ans de différence d’espérance de vie et que les femmes noires sont encore médicalement moins bien prises en charge que les femmes blanches aux États-Unis, les Canadiens les plus pauvres ont également deux fois plus de chance de développer un diabète, et davantage de risque de souffrir de maladie cardio-vasculaires, respiratoires, de cancers du poumon, de dépression ou encore d’arthrite. Nous avons pu voir dans l’article Quand santé rime avec inégalités que tous les individus n’ont pas les mêmes chances d’être en bonne santé. Les recherches ces dernières années ont démontré que l’état de santé des personnes ne dépend pas seulement de leurs caractéristiques biologiques, mais également de leurs conditions de vie (environnement, logement, accès aux services, revenus, place du groupe social auxquels ils appartiennent dans la société, etc.). Dans le présent article, nous nous attarderons sur les différentes pistes d’action destinées à combattre ces inégalités sociales de santé.

Interventions à travers les politiques publiques

Un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé [OMS] a mis de l’avant quatre niveaux de politiques publiques complémentaires pour lutter contre les inégalités sociales de santé (Solar O., Irwin A., 2010).

  • Le premier niveau, considéré comme fondamental, est celui de la mise en place de politiques visant la réduction des inégalités sociales structurelles, comme l’accès à l’éduction, au transport, les différences de revenus, etc.
  • Le second s’attaque à des éléments spécifiques impactant la santé, qui sont liés à la position sociale des individus. Par exemple, moins on a de revenus, plus on a de chance d’avoir des conditions de logement insalubres. Ou encore, moins on a de qualifications, plus on a de chance d’avoir des conditions de travail difficiles. Les actions se situent au niveau d’interventions ou de réglementations sur les conditions de travail dangereuses ou difficiles, sur la salubrité des logements, sur les carences nutritionnelles, etc.
  • Le troisième niveau adresse la dégradation de la situation socioéconomiques des personnes souffrant de longues maladies ou de maladies chroniques. Ces personnes sont en effet plus à risque de subir une perte d’emploi ou une baisse de revenus. Il s’agit donc de prévenir la sortie du marché du travail de ces personnes ou de compenser les pertes de revenus subies à cause de la maladie.
  • Enfin le quatrième niveau de lutte aux inégalités sociales de santé concerne l’assurance maladie. L’objectif est ici d’avoir un financement équitable de l’assurance maladie, ainsi qu’une couverture médicale supplémentaire pour les personnes défavorisées afin qu’elles puissent se soigner avec les mêmes moyens qu’une personne d’un groupe social favorisé.

 

État de santé et inégalité sociale - caricature

Des politiques de promotion de la santé (mise en avant de l’activité physique, du nombre de portions de fruits et légumes par jour, etc.) ou de prévention auprès de personnes dites à risque peuvent également être mises en place à l’échelle nationale. Mais celles-ci ne devraient pas être le point central des interventions gouvernementales. En effet, bien qu’elles puissent éduquer et sensibiliser, ces politiques, contrairement à celles préconisées par l’OMS, n’agissent pas sur les déterminants sociaux de la santé et peuvent parfois être stigmatisantes pour les individus (cela peut laisser penser que l’état de santé des personnes est seulement affecté par leurs habitudes de vie et non également par des éléments systémiques) (Lupton D., 1995). Comme le suggère Vanessa Brcic, médecin de famille et chercheure communautaire à Vancouver, les inégalités sociales de santé étant inhérentes à l’organisation d’une société, elles ne peuvent être éliminées seulement grâce à des interventions individuelles, des prescriptions ou des conseils sur le mode de vie des personnes. En revanche, étant donné que « tous les aspects de la politique gouvernementale et de l’économie, par exemple les finances, l’éducation, le logement, l’emploi, et les transports notamment, peuvent influer sur la santé et l’équité sanitaire» (OMS), il importe que les ministères en charge de ces domaines le prennent en compte, soient cohérents et mettent dans leur agenda la lutte aux inégalités sociales.

 

The health gradient

 

Lutte aux inégalités sociales de santé au niveau local

En complément aux politiques publiques gouvernementales, il paraît intéressant à l’échelle locale de travailler aussi de façon structurelle et transversale, pour créer des environnements favorables à la santé. C’est-à-dire des milieux de vie qui facilitent les choix bénéfiques pour la santé et minimisent l’exposition à des facteurs de risques environnementaux. Ainsi, Parole d’excluEs, organisation à but non lucratif qui promeut la mobilisation citoyenne afin de lutter contre l’exclusions sociale et la pauvreté, intègre « une perspective holistique sur l’alimentation et la nutrition, sur la santé et le bien-être et sur l’environnement physique du quartier incluant son aménagement ». L’organisation développe un modèle d’action transsectoriel à Montréal-Nord dans lequel le logement communautaire (via son partenaire de la Société d’habitation populaire de l’Est de Montréal), différentes dimensions de l’alimentation (production, distribution, transformation, éducation, etc.), l’aménagement du quartier, le lien social et les échanges (via l’Accorderie), la santé ou encore la lutte aux discriminations, sont mis en relation et sont travaillés avec les personnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale. Cette mise en lien entre les différents secteurs permet d’agir en cohérence sur un territoire et de porter avec les personnes qui subissent cette défavorisation des interventions qui s’attaquent aux conditions sociales, économiques et politiques.

 

Les enfants du Centre de la Petite enfance (CPE) viennent apprendre et s’amuser

Les enfants du Centre de la Petite enfance (CPE) viennent apprendre et s’amuser dans le verger et le potager. Le CPE ainsi que les projets d’agriculture urbaine ont été développés par des citoyens de l’îlot Pelletier (Montréal-Nord) accompagnés de Parole d’excluEs

 

Du côté des soins, nous pouvons citer l’exemple de l’hôpital St. Michael’s à Toronto, dont l’équipe de soignants, étant consciente des limites des interventions médicales sur les personnes en situation de pauvreté, a embauché une ressource pour aider les patients à accéder à des programmes d’aide sociale auxquels ils ont droit. Bénéficiant d’une subvention du gouvernement provincial, l’hôpital a pu recruter un avocat, puis un travailleur social. Récemment, un programme de lecture a été lancé, qui « prescrit » des livres aux enfants lors de leur examen annuel. Enfin, un programme d’aide à l’emploi est en train d’être développé dans la clinique. Comme l’évoque la Dre V. Brcic, « en tant que médecin de famille, je suis bien consciente de la limite des soins médicaux pour une personne qui ne peut subvenir à ses besoins primaires. Nous avons besoin de soutien pour permettre à ces personnes de satisfaire leurs besoins de base »*.

En parallèle, le monde académique peut aussi jouer un rôle dans la réflexion et la mise en visibilité tant de ces enjeux que des possibles solutions structurantes. Nous pouvons évoquer ici le travail de la Chaire de recherche sur les inégalités sociales de santé de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), dont Janie Houle, professeure au département de psychologie de l’UQAM, est titulaire. La Chaire intègre dans sa gouvernance des personnes qui vivent des situations de défavorisation socioéconomique et celles-ci participent également aux projets de recherche. C’est en effet en ayant pleinement connaissance des expériences vécues par les personnes victimes de ces inégalités que des solutions innovantes et adaptées pourront être définies et mises en œuvre avec elles.

Différentes approches paraissent donc essentielles à mettre en œuvre pour combattre les inégalités sociales de santé de façon complémentaire : d’une part en promouvant des politiques publiques qui permettent de répartir plus équitablement les ressources et le pouvoir au sein de la société, et d’autre part en soutenant le développement de projets structurants dans les communautés qui favorisent l’amélioration des conditions de vie des individus (Houle J., 2019) et créent des environnements favorables à la santé de tous.

Pour conclure cet article, nous pouvons reprendre les mots de la docteure Brcic pour souligner l’idée que « chaque individu doit être vu, entendu et respecté. Des changements systémiques, incluant l’accès à des services publics essentiels et le développement d’un revenu minimum garanti, doivent être les fondations d’une société qui permet aux gens de vivre en toute dignité, plutôt que dans la honte et l’isolement»*.

*Citations traduites dans le texte

Par Florianne Socquet-Juglard, agente de recherche à Parole d’excluEs

 

Références

Houle J., 2019,« Les inégalités sociales de santé, les comprendre pour mieux les réduire », Festival Hoodstock, Montréal-Nord

Lupton D., 1995, The imperative of health: public health and the regulated body. London; Thousand Oaks, Calif., Sage Publications.

Solar O, Irwin A., 2010, « A conceptual framework for action on the social determinants of health », Social Determinants of Health Discussion Paper 2 (Policy and Practice).

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