Basic income Photo : Christopher Andrews / Flickr

Introduction au revenu minimum garanti (1/2)

Cette introduction au revenu minimum garanti, aussi appelé revenu de base ou encore impôt négatif, s’inscrit dans la lignée des derniers articles de ce blogue concernant la persistance de la pauvreté malgré la prospérité économique, et les initiatives pour réduire ce phénomène.

Le revenu minimum garanti vise à offrir à tout citoyen un revenu régulier sans condition ni contrepartie. Le montant versé dépend de la volonté de l’autorité publique ou de l’organisation qui le met en place, et peut différer selon l’âge, la situation familiale, le statut, etc. Cette idée n’est pas nouvelle : le philosophe britannique Thomas More par exemple, proposait dans son ouvrage Utopia en 1516 une prise en charge publique de l’assistance aux pauvres en procurant à chacun les moyens d’assurer sa propre subsistance, dans le but selon lui, de lutter contre le crime. De nombreuses réflexions et expérimentations ont été développées depuis ces premières considérations du XVIe siècle. Le début des années 1970 a ainsi connu une grande vague de prises de positions, de discussions et de tentatives d’application d’un revenu de base, notamment au Canada et au Québec (Boucher, 2013). Mais à partir de la fin des années 70, voulant lutter contre la croissance de l’inflation et du chômage, le gouvernement fédéral canadien a fait le choix de balayer de son agenda la politique de soutien à la consommation, et les ambitions de revenu minimum garanti ont disparu des discours par la même occasion. Toutefois, l’idée de tester ce dispositif est revenue avec force ces dernières années, et ce, dans des propos provenant de personnes aux idées politiques et économiques diamétralement opposées.

En effet, différentes variantes existent dans la formule de revenu minimum garanti, et celles-ci répondent à des ambitions bien éloignées. D’une part, les partisans d’une vision néolibérale du dispositif s’inspirent en premier lieu des écrits de Milton Friedman, économiste américain et membre de l’École de Chicago. Dans son ouvrage Capitalisme et Liberté publié en 1962, il propose d’instaurer un impôt négatif, où l’État verserait à toute personne en dessous d’un seuil de revenus, une allocation correspondant à un filet de sécurité. Mais cette formule doit s’accompagner, selon l’économiste, d’une privatisation des services publics et de la sécurité sociale. En effet, il suppose que cette allocation « transforme les individus en consommateurs suffisamment solvables pour acheter leur assurance-santé auprès des différents prestataires privés. Quant au revenu lui-même, son montant doit être assez bas pour que l’on ne puisse pas se passer d’emploi ».  Cette formule a ensuite été reprise par le collectif Charles Fourier dans les années 80, qui suggère de « supprime[r] les indemnités de chômage, les pensions légales, le minimex, les allocations familiales (…). Mais [de] verse[r] chaque mois à chaque citoyen une somme suffisante pour couvrir les besoins fondamentaux d’un individu vivant seul, […] qu’il travaille ou qu’il ne travaille pas, qu’il soit pauvre ou qu’il soit riche, qu’il habite seul, avec sa famille, en concubinage ou en communauté, qu’il ait ou non travaillé dans le passé. Et [de] finance[r]  l’ensemble par un impôt progressif sur les autres revenus de chaque individu » (Collectif Charles Fourier, 1985). Parallèlement, ils recommandent également de déréguler le marché du travail, d’abolir le salaire minimum, ou encore d’éliminer la bureaucratie étatique.

Ce type de revenu de base est de nouveau mis en avant ces dernières années par des penseurs, des économistes ou des politiques classés à droite (cf. entre autres le think tank Génération Libre). Ils voient à travers ce dispositif une opportunité pour réduire les coûts des différentes aides sociales (allocations familiales, minimas sociaux, primes à l’emploi, bourses étudiantes, sécurité sociale, etc.) et de leur administration. Celles-ci se transformeraient en un seul revenu de base unique dont profiteraient tout un chacun. Cependant, cette logique induit une poursuite de la déréglementation du travail. Ainsi, selon le philosophe André Gorz, « la garantie d’un minimum de subsistance est, dans la conception libérale, la condition grâce à laquelle le marché du travail peut fonctionner sans entrave. Elle permet en effet au prix du travail (au salaire) de tomber assez bas pour que de nombreux travaux qui ne seraient pas rentables s’il fallait les payer à un salaire normal, puissent être confiés à une main-d’oeuvre au rabais, qui n’attend du travail qu’un revenu de complément » (Boucher E., 2013). Cette conception du dispositif verrait donc les employeurs négocier « des salaires d’appoint » avec leurs employés puisqu’ils auraient connaissance du fait que ces derniers perçoivent un premier revenu.

À l’opposé, sur le côté gauche de l’échiquier politique, on conçoit le revenu minimum garanti comme un potentiel levier de modification du rapport de force sur le marché du travail. Si le revenu de base est suffisant, les travailleurs pourraient retrouver le pouvoir de refuser les emplois les plus pénibles ou les moins payés, et les employeurs seraient obligés de proposer des améliorations. Il permettrait également aux travailleurs d’avoir une plus grande sécurité pour passer d’un emploi à un autre, ou d’une formation à un emploi et inversement. Cette vision progressiste du revenu garanti repose sur l’idée que la déréglementation du travail ainsi que le développement de la robotisation et des technologies ont bouleversé le marché du travail, ont exclu les personnes les moins formées et les moins favorisées et ont créé des emplois précaires et peu rémunérés. De fait, puisqu’il est devenu de plus en plus difficile d’obtenir un revenu du travail suffisant et stable, le dispositif d’allocation universelle pourrait aider chacun à subvenir à ses besoins primaires et donnerait la liberté d’investir davantage de son temps dans le domaine public, dans des activités autonomes, communautaires, ou actuellement non valorisée dans la sphère marchande (engagement bénévole, activités artistiques, développement personnel, etc.). Selon le Mouvement français pour le revenu de base (MFRB), l’allocation universelle serait aussi un moyen de réduire « le risque qu’un des conjoints se retrouve dépendant de l’autre. […] “ Un revenu complémentaire, sous forme de revenu de base, permettrait aux mères célibataires de payer la garde de leurs enfants, et donc de continuer à travailler si elles le souhaitent.” » Par ailleurs, pour pousser plus loin l’idée de sortir d’une économie capitaliste globalisée destructrice via ce dispositif, certains proposent de payer tout ou partie de ce revenu de base sous forme de monnaie locale.  Puisque celle-ci « n’est échangeable que dans un rayon limité, elle dynamise et développe l’économie locale, accroît le degré d’autosuffisance et le pouvoir que la population peut exercer sur les orientations et les priorités économiques » (Gorz A., 1997 ; Durand-Folco J., 2013).

Contrairement à la conception néolibérale, les tenants progressistes du revenu suffisant garanti ne souhaitent pas que ce revenu soit un remplacement des aides publiques, mais bien qu’il vienne s’ajouter à la protection sociale actuelle. Il pourrait être financé selon l’économiste Yann Moulier-Boutang par une réforme du système d’imposition actuel qui verrait la naissance d’une taxe sur les transactions monétaires et financières (Moulier-Boutang Y., 2016), ou par une taxation du capital, des robots, des activités polluantes (Monnier et Vercellone, 2013) ou encore selon Baptiste Mylondo, par une hausse de l’impôt sur le revenu et l’instauration d’une taxe progressive sur le patrimoine.

« “Correctement mis en place, [le revenu garanti] peut être à terme un levier vers une société plus juste et plus inclusive” , estime le Mouvement français pour le revenu de base. » Versé à tout citoyen sans condition, il permet de ne pas stigmatiser une catégorie de personnes en particulier. En revanche, si ce revenu n’est pas suffisant ou s’il n’est pas fixé en tenant compte du seuil de pauvreté, il pourrait n’être qu’un nouvel outil au service d’une précarisation grandissante, une sorte de subvention pour emplois précaires et salaires au rabais. De nombreux gouvernements locaux, nationaux ou ONG tentent ou ont tenté de mettre en place ce dispositif. Nous présenterons dans le prochain article du blogue quelques-unes de ces expériences concrètes.

(Lire la suite de l’article: Le revenu minimum garanti dans les faits (2/2))

Par Florianne Socquet-Juglard, agente de recherche à Parole d’excluEs

 

Références

Boucher E., 2013 : « Renverser la tendance à la pauvreté au travail en instaurant un revenu minimum garanti au Québec ? », Revue multidisciplinaire sur l’emploi, le syndicalisme et le travail, Volume 8, Numéro 2, pp. 61–83.

Collectif Charles Fourier, 1985 : « L’allocation universelle », La Revue Nouvelle (4), pp. 345‑94.

Durand-Folco J., 2013 : « L’écologie politique de la ville : Vers un
revenu suffisant garanti », Nouvelles pratiques sociales, 26(1), pp. 215–229.

Gorz A., 1997 : Misères du présent, richesse du possible, Paris, Galilée.

Monnier J-M., Vercellone C., « Le financement du revenu social garanti comme revenu primaire. Approche méthodologique », Mouvements, vol. 73, no. 1, pp. 44-53.

Moulier-Boutang Y., 2016 : « Pour un revenu d’existence de pollinisation contributive. Financé par une taxe pollen », Multitudes, vol. 63, no. 2, pp. 25-38.

 

Crédit Photo: Christopher Andrews / Flickr

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